L’Unité Technique d’Exécution (UTE) – Le cœur du mal invisible
- Wilsonn Telimo Lwi
- il y a 6 jours
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L’Unité Technique d’Exécution (UTE) – Le cœur du mal invisible
I. Le pouvoir que personne n’a élu

Le peuple haïtien croit encore que le pouvoir se trouve au Palais national, au Parlement ou dans les grandes entreprises. Mais le véritable centre du pouvoir est ailleurs, tapi dans les couloirs climatisés d’une institution technocratique que personne n’a jamais élue : l’Unité Technique d’Exécution (UTE).
Créée par un simple arrêté ministériel du MEF en 2004, l’UTE s’est métamorphosée, crise après crise, en État parallèle, une machine technocratique contrôlant l’argent, les contrats et, par extension, le destin économique de toute la nation. Inutile de dire, le pivot invisible de la gouvernance économique internationale en Haïti.
Pendant que les groupes privés — GB Group, Haytrac, E-Power, Valerio Canez, Sogener — se disputent des miettes de marchés et que les ministres changent au gré des crises politiques, l’UTE reste. C’est elle qui ouvre et ferme le robinet de l’argent étranger. C’est elle qui décide ce qui se construit, qui s’enrichit, et qui reste dans la misère.
Autrement dit, l’UTE, c’est la clé du coffre par laquelle transitent aujourd’hui les milliards qui décident de notre futur. Elle est devenue, de fait, l’autorité qui contrôle l’essentiel des flux financiers internationaux dédiés à la reconstruction et aux infrastructures nationales.
II. Le contrôle absolu des fonds étrangers : la capture du pays
Chaque dollar destiné à la reconstruction d’Haïti passe par l’UTE. Ni le Trésor, ni le Parlement, ni le gouvernement n’en contrôlent le flux.
Quand la Banque mondiale, la BID ou l’AFD financent un projet de 100 millions de dollars, l’argent contourne l’État — il passe directement dans les mains d’une structure administrative qui agit au nom des bailleurs, pas du peuple haïtien.
L’UTE signe les contrats, sélectionne les bénéficiaires, supervise les paiements. Elle a capturé la fonction économique la plus cruciale de l’État : celle de dépenser, d’allouer, de décider.
Dans une République normale, c’est le ministère qui gouverne. En Haïti, c’est l’UTE qui commande.
Les groupes privés doivent, eux, négocier leur survie dans l’écosystème contractuel que contrôle l’UTE.
En Haïti, celui qui contrôle le flux des décaissements détient plus de pouvoir que celui qui détient les capitaux.
Le pouvoir n’est plus politique ni économique — il est fiduciaire.
III. L’immunité technocratique : un État sous tutelle étrangère
L’UTE ne rend de comptes à personne. Elle n’obéit pas aux lois haïtiennes, mais aux manuels de procédures de la Banque mondiale et de la BID. Elle recrute ses propres experts, ingénieurs et consultants, souvent issus d’organismes internationaux, et fixe ses salaires hors des barèmes nationaux.
En d’autres termes, parce qu’elle applique les règles des bailleurs plutôt que celles du droit haïtien, l’UTE jouit d’une immunité de fait. Ses contrats, ses recrutements, ses appels d’offres échappent au contrôle parlementaire, à la Cour supérieure des comptes, et aux tribunaux administratifs.
Elle est intouchable parce qu’elle ne dépend d’aucune juridiction nationale. Aucun ministre ne peut la sanctionner. Aucun député ne peut l’auditer. Elle fonctionne comme une enclave étrangère à l’intérieur de la République.
Les véritables maîtres du pays — ceux qui décident où ira chaque dollar de développement — ne sont pas à Washington ou à Paris. Ils sont ici, à Port-au-Prince, dans les bureaux de l’UTE. Mais ils ne répondent à personne d’autre qu’aux bailleurs.
Ainsi, l’UTE est devenue un État parallèle, technocratique, fluide, bilingue, aligné sur les bailleurs et donc intouchable.
IV. L’UTE : gardienne du marché, distributrice de privilèges
Dans les faits, l’UTE sélectionne les entreprises qui auront accès aux grands chantiers nationaux : routes, ponts, centrales solaires, hôpitaux, infrastructures portuaires. Ses appels d’offres définissent qui grandit et qui disparaît. Rien ne se construit sans validation technique de l’UTE.
Aucune entreprise, aussi puissante soit-elle, ne peut exister sans son approbation.
L’UTE choisit qui gagne et qui meurt économiquement. Elle distribue les contrats comme on distribue des armes : pour maintenir l’équilibre des dépendances, jamais pour libérer le pays.
Les groupes privés, aussi riches soient-ils, attendent son feu vert pour respirer. Et c’est là que le mal s’enracine : dans une dépendance structurelle organisée pour que personne, ni les élites ni l’État, ne puisse agir sans l’autorisation des bailleurs.
L’UTE est la gardienne du temple, le filtre invisible entre le financement et l’exécution. Sans validation technique de l’UTE, aucun projet n’existe. Sans approbation administrative de l’UTE, aucun paiement ne se libère.
V. Le bras exécutif des puissances étrangères
Pour la BID, la Banque mondiale et l’AFD, l’UTE est la seule institution “fiable” du pays. Ce jugement est en réalité une condamnation : il signifie que les institutions haïtiennes sont déclarées incompétentes, et qu’un organe technocratique, financé et dirigé de l’extérieur, doit régner à leur place. Ce qui fait de l’UTE, le canal privilégié de la gouvernance étrangère en Haïti.
Les bailleurs gouvernent à travers l’UTE. L’UTE gouverne à travers les contrats. Et les ministères, eux, exécutent sans comprendre.
C’est la forme la plus sophistiquée de tutelle coloniale : celle qui ne se dit pas, mais qui agit à travers les comptes bancaires, les appels d’offres et les signatures invisibles.
Résultat :
1. L’UTE possède une légitimité internationale supérieure à celle des institutions nationales.
2. Les ministères sont devenus de simples vitrines politiques, pendant que la technostructure fiduciaire concentre la réalité du pouvoir.
Brèche démocratique : absence de reddition de comptes. Les audits relèvent majoritairement des bailleurs ; les rapports complets ne sont pas systématiquement publiés au niveau national.
Le Parlement, pourtant souverain, n’exerce pas la surveillance nécessaire sur ces flux. C’est une dérive inacceptable pour un État qui prétend être démocratique.
VI. Absence totale de contrôle démocratique
L’UTE ne rend pas de comptes au Parlement. Ses audits sont réalisés par les bailleurs, non par les institutions haïtiennes. Elle gère des milliards de dollars hors budget, sans publication complète des décaissements, des bénéficiaires, ni des retombées socio-économiques.
C’est un gouvernement parallèle, sous tutelle étrangère, opérant dans le vide institutionnel haïtien.
VII. Accès exclusif aux données stratégiques
L’UTE détient toutes les données financières sensibles sur les projets, les entreprises et les futurs financements. Elle sait où l’argent va, quand il arrivera et quelles entreprises en bénéficieront, avant même les ministres concernés.
Cette information anticipée permet d’orienter les alliances, les sous-traitances, et même les carrières politiques. Inutile de dire, ce savoir confère à ses agents un pouvoir politique réel, difficilement contrôlable.
Les groupes privés, eux, avancent à l’aveugle, sans accès à ces prévisions.
VIII. L’élite technocratique : les nouveaux maîtres du pays
Cette nouvelle aristocratie technocratique transnationale est fluide, polyglotte, diplômés à l’étranger, apolitiques en apparence, connectée aux bailleurs, et sans loyauté nationale. Elle parle le langage du “développement durable”, mais son œuvre véritable, c’est la neutralisation du pouvoir haïtien.
Ces technocrates ne possèdent pas les capitaux mais ils possèdent la clé du coffre. Ils ne dirigent pas l’État mais Ils le gèrent pour d’autres. Car ils décident de ce qui se construit. Ils ne croient pas en la souveraineté : ils croient aux indicateurs. Et pendant qu’ils compilent des rapports, le pays meurt dans le silence des chiffres.
C’est la mutation du pouvoir haïtien : de l’oligarchie patrimoniale vers l’oligarchie administrative.
IX. L’UTE : la source du mal administratif haïtien
L’État haïtien ne peut être gouverné parce qu’il ne détient plus son propre cœur administratif. Les décisions politiques sont vides, les plans de développement sont fictifs, car les leviers réels sont détenus ailleurs.
Haïti n’est plus administrée : elle est pilotée. Nos ministères ne gouvernent pas — ils obéissent à un système où la dépendance a été institutionnalisée.
Et c’est pourquoi aucun gouvernement, aucune réforme, aucune élection ne changera rien tant que le pays n’aura pas repris le contrôle de l’UTE et des flux financiers internationaux.
X. Appel à la jeunesse haïtienne et aux universitaires
Je m’adresse ici à ceux qui pensent, qui comprennent, qui voient au-delà du rideau. Aux jeunes universitaires, ingénieurs, économistes, juristes, informaticiens, chercheurs :
Vous êtes les seuls capables de déchiffrer le mensonge administratif dans lequel nous vivons.
Vous devez exiger un audit public international et national de l’UTE. Vous devez réclamer la publication de tous les contrats signés depuis 2004, projet par projet, dollar par dollar. Et vous devez comprendre : reprendre l’UTE, c’est reprendre l’État.
Sans cette reconquête administrative, il n’y aura pas de souveraineté, pas d’indépendance, pas de justice économique. Le combat commence dans les universités, dans la conscience, dans la vérité.
XI. Conclusion : le vrai pouvoir en Haïti n’est plus économique, il est fiduciaire
L’UTE est plus puissante que les groupes privés parce qu’elle contrôle l’accès au financement international, la ressource la plus rare et la plus décisive du pays.
Les oligarques dominent les marchés internes, mais l’UTE contrôle la porte d’entrée de l’argent mondial.
En Haïti, la souveraineté ne se mesure plus à qui possède, mais à qui signe. Les riches haïtiens ont l’argent, mais l’UTE détient la signature. Et tant que le pays ne reprendra pas le contrôle de ses flux financiers, il restera administré — non gouverné.
Kervens Louissaint,
Un nom à retenir.
Source: https://www.ute.gouv.ht
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